Springfield contre Enfield

Traduction d’un article de Garry JAMES paru dans D.G.W. Blackpowder Annual 1983

Bien que le mousquet Ă  canon rayĂ© et la balle MiniĂ© eussent dĂ©jĂ  prouvĂ© leur valeur respective dans des conflits prĂ©cĂ©dant la Guerre Civile AmĂ©ricaine, appelĂ©e en Europe Guerre de SĂ©cession, le système n’avait jamais Ă©tĂ© essayĂ© sur une Ă©chelle aussi vaste. Les Britanniques utilisèrent d’abord leurs fusils rayĂ©s Enfield Ă  balle MiniĂ© en CrimĂ©e de 1854 Ă  1856 et pendant la Mutinerie d’Inde aussi appelĂ©e RĂ©volte des Cipayes de 1857 Ă  1859, et leurs succès poussèrent d’autres pays, plus particulièrement les Etats Unis, Ă  rĂ©-Ă©valuer et mettre Ă  jour leurs antiques fusils Ă  âme lisse en mĂŞme temps que leurs manuels militaires. La « Guerre entre les Etats Â» vit des millions de fusils de type MiniĂ© de tous bords, les plus utilisĂ©s Ă©tant les Modèles 1855, 1858 et 1861 des Enfield anglais. Le Springfield et l’Enfield Ă©taient considĂ©rĂ©s Ă  cette Ă©poque comme les meilleurs fusils militaires rayĂ©s bien que, aussi bien Ă  cette Ă©poque-lĂ  qu’aujourd’hui, tous les deux avaient leurs champions.

En fait, les autorités tant Fédérales que Confédérées, ayant chacune devant eux l’énorme tâche d’armer une multitude d’hommes, n’étaient souvent pas très regardantes quand il s’agissait de savoir où les armes avaient été achetées, et les produits issus de contrats des deux côtés de l’Atlantique étaient sujets à des variations subtiles en matière de style et de qualité. Mais les Springfield et les Enfield sont aussi les favoris de certains tireurs modernes, qui ont souvent déjà un préjugé favorable pour l’un ou pour l’autre. Le fait que ces armes donnent toutes les deux de bons résultats sur le terrain fait rarement changer un tireur d’avis, lequel continuera à s’en tenir obstinément au choix qu’il a fait lui-même. Franchement, depuis des années, j’ai tiré avec une quantité d’exemplaires des deux sans vraiment penser à cette mini controverse, mais une discussion un peu animée sur un stand récemment entre deux tireurs qui vantaient chacun les meilleurs mérites de leur arme respective, m’a poussé à faire une comparaison entre elles.

Nous avons pu trouver un Enfield Pattern 1853 et un Springfield Model 1863, nous les avons démontés, analysés, et mis à l’épreuve. Le test devait se faire avec le moins de considérations modernes possible, et seulement des projectiles, des charges et une manière de charger identiques à ceux de l’époque. Toutefois et avant d’entrer dans les détails de ces essais, un peu d’histoire sur le système Minié ne serait pas hors de propos.

Le concept du fusil rayé a depuis longtemps intrigué l’esprit des militaires, mais les procédures de chargement de la fin du XVIIe. Siècle et du début du XIXe., où il fallait descendre la balle dans le canon à coups de maillet ou bien l’ajuster laborieusement avec un calepin de cuir ou de tissu, limitait son emploi aux troupes spéciales. Vers les années 1820, les balisticiens militaires et les armuriers privés passèrent plus de temps à se pencher sur le problème d’une balle non calepinée, une balle que l’on pourrait descendre facilement dans le canon par la bouche, mais qui engagerait toujours les rayures de manière adéquate.

Beaucoup de leurs trouvailles s’encrassèrent littĂ©ralement dans les Ă©pais rĂ©sidus de poudre noire brĂ»lĂ©e, l’éternelle plaie liĂ©e au projectile Ă©troitement ajustĂ© au canon. Il Ă©tait Ă©vident que la solution serait une balle d’un calibre infĂ©rieur, qui pourrait se dilater et bien engager le haut et le fond des rayures. Le premier germe de l’idĂ©e de la balle expansive semble venir d’un certain Capitaine John NORTON, de retour en Angleterre après son service en Inde. Son projectile, tel qu’il fut prĂ©sentĂ© en 1824 au British Select Committee on Firearms, ou la Commission Britannique de SĂ©lection des Armes, Ă©tait de forme cylindrique, creux sur presque toute sa longueur. Cette chambre contenait Ă©galement la charge de poudre. La balle Ă©tait suffisamment petite pour tomber au fond du canon, et l’explosion de la charge forçait thĂ©oriquement les parois tendres de la balle contre les rayures, formant du mĂŞme coup un joint parfait pour les gaz. Le ComitĂ© refusa d’essayer le plan de NORTON, dĂ©cidant sèchement Â« qu’une balle sphĂ©rique Ă©tait la seule forme de projectile adaptĂ© pour l’usage militaire Â»Les Anglais seraient-ils aussi cons que les Français ? Oh, que oui, entends-je dire…

Presque au mĂŞme moment en France, le Capitaine Gustave DELVIGNE conçut un canon rayĂ© avec une petite chambre dans la culasse. Une balle ronde, sous-calibrĂ©e, Ă©tait introduite dans le canon par la bouche et venait se poser sur les arĂŞtes vives de la chambre. Quelques coups vigoureux avec une lourde baguette de fer sur la balle aplatissaient le plomb tendre et l’ajustaient aux rayures. Le système de DELVIGNE fonctionna quelque peu, mais la dĂ©formation de la sphère la faisait voler de manière erratique quand elle quittait le canon. En 1833, le Lieutenant-Colonel PONCHARRA modifia le système de DELVIGNE en ajoutant un calepin graissĂ© sur la balle pour nettoyer le canon, et en fixant un petit sabot de bois Ă  la base de la balle pour rĂ©duire la dĂ©formation causĂ©e par les coups de la baguette au chargement. Les carabines fonctionnant selon le système DELVIGNE-PONCHARRA furent versĂ©es Ă  une Compagnie de Chasseurs Ă  Pied en 1838 Ă  titre d’essais, et le système fut adoptĂ© en 1840 en dotant dix bataillons des Tirailleurs de Vincennes, qui utilisèrent la carabine avec succès en AlgĂ©rie. En Angleterre, le fameux armurier de Birmingham, William GREENER, s’était Ă©galement attelĂ© Ă  la tâche de dĂ©velopper une balle expansive. Son plan, tel que proposĂ© au Board of Ordonnance en 1835, consistait en un projectile ovale en plomb, avec une base plate et une chambre Ă©troite faisant presque toute la longueur de la balle. Un bouchon en fonte de forme conique et une tĂŞte en forme de bouton Ă©tait placĂ© dans la cavitĂ©. On pouvait charger la balle facilement et, au moment du dĂ©part du coup, le bouchon conique partait vers l’avant, dilatant le projectile en le poussant dans les rayures. A la fin de 1835, une compagnie du 60e. Rifle essaya le système de GREENER de manière exhaustive et, selon les archives qui en restent, fut très satisfaite. Pourtant les autoritĂ©s ne furent pas impressionnĂ©es et rejetèrent le projectile de GREENER parce que c’était un projectile composite. Les Anglais Ă©taient vraiment aussi cons que les Français !

Le chapitre suivant de cette histoire nous ramène de l’autre cĂ´tĂ© de la Manche, dans l’atelier du Capitaine THOUVENIN. En 1843, il conçut sa « carabine Ă  tige Â», un autre système basĂ© sur l’expansion de la balle au moyen de la baguette de chargement. Son système diffĂ©rait de celui de DELVIGNE dans le fait qu’un projectile conique Ă©tait dilatĂ© par enfoncement sur une courte pointe, la « tige Â», fixĂ©e au fond de la culasse. Plus tard, THOUVENIN perfectionna le système en utilisant une baguette de chargement dont la tĂŞte Ă©tait creuse, Ă©pousant la forme du nez du projectile, rĂ©duisant ainsi la dĂ©formation. Le système « Ă  tige Â» fonctionnait mieux que celui de DELVIGNE, et il fut utilisĂ© dans plusieurs corps de l’armĂ©e Française. En revenant un peu en arrière, nous nous apercevons que, vers la fin de 1842, DELVIGNE avait brevetĂ© une balle possĂ©dant beaucoup des caractĂ©ristiques de celle qui apparut ensuite et qui fut attribuĂ©e au Capitaine Etienne MINIE. DELVIGNE proposait une balle cylindrique Ă  base creuse, qui se dilaterait sous le seul effet de l’explosion de la charge de poudre, en somme, ce que nous appelons aujourd’hui la balle MiniĂ©. On voit que les Français Ă©taient aussi cons que les Anglais, eux aussi, en piquant l’invention de l’un pour l’attribuer Ă  un autre, et en voulant donner un nom Ă  tout le monde. Bien entendu, MINIE dĂ©veloppa sa fameuse balle, et il le fit pendant qu’il Ă©tait Chef d’Escadron Ă  la forteresse de Vincennes. Comme on s’en aperçut en 1848, la balle de MINIE n’était rien d’autre que la balle Ă  base creuse de DELVIGNE, avec un petit cĂ´ne en fer Ă  la base qui Ă©tait poussĂ© dans la cavitĂ© sous l’action des gaz. La balle de MINIE diffĂ©rait Ă©galement un petit peu de son prĂ©dĂ©cesseur, dans sa forme. Les autoritĂ©s militaires françaises Ă©taient enchantĂ©es des performances de MINIE, mais se plaignirent que le petit bouchon de fer traversait souvent complètement la balle, en laissant au fond de l’arme un Ă©pais tube de plomb. On trouva Ă©galement que le bouchon avait tendance Ă  se libĂ©rer de la balle et voler alĂ©atoirement en oblique par rapport au tireur, crĂ©ant ainsi un danger pour ses propres camarades. Le bouchon de fer fut remplacĂ© par un bouchon de bois. Les autres pays se rendirent vite compte des avantages du système MiniĂ©, et se mirent rapidement Ă  faire leurs propres expĂ©rimentations. En 1850, les Belges adoptèrent le premier fusil rayĂ© d’ordonnance, vite suivis par les Français et les Anglais. Donc, les Belges Ă©taient moins cons que les Français et que les Anglais. Les Belges et les Français prĂ©fĂ©raient un projectile allongĂ© avec des gorges de graissage annulaires et en calibre .69. Le calibre de 69, pour les Français on comprend, mais pour les Belges… Comme l’a notĂ© le Major R. DELAFIELD dans son rapport au Congrès des Etats Unis sur l’Art de la Guerre en Europe en 1855, 1855 et 1856 : Â« Un troisième concept a Ă©tĂ© adoptĂ© par les Français, les Russes et d’autres, sur une base creuse en contact avec la poudre qui se dilate par l’explosion, remplissant ainsi toute l’âme du canon et s’ajustant avec les rayures du canon… avec trois gorges de graissage extĂ©rieures. Â»

Ces projectiles Ă©taient attachĂ©s dans des cartouches en papier contenant la charge de poudre. Pour charger son mousquet, le soldat arrachait le bout de la cartouche avec ses dents, versait la poudre dans le canon, et asseyait la balle sur la charge avec la baguette de chargement. Toutes les armes tirant la balle MiniĂ© Ă©taient du système Ă  percussion, et une capsule de cuivre avec du fulminate de mercure Ă©tait l’amorce universelle. Les Britanniques choisirent la balle conçue par l’armurier W. PRITCHETT qui, contrairement au modèle français, Ă©tait lisse avec une cavitĂ© assez profonde. Le calibre du fusil Pattern 1851, appelĂ© « minnie Â» par les soldats, Ă©tait de .702. Sa balle Pritchett de 680 Grains Ă©tait au calibre de .690. Les Britanniques dĂ©cidèrent de garder le bouchon conique en fer. La balle Ă©tait enveloppĂ©e dans un calepin de papier graissĂ©, et insĂ©rĂ©e dans la cartouche base en haut. Pour charger, le soldat dĂ©chirait le bout de la cartouche avec ses dents, versait la poudre dans le canon, renversait la cartouche et poussait le tout, balle, papier et tout, dans le canon, ce qui dĂ©chirait le reste de papier et formait une bourre. Il asseyait ensuite la balle sur la charge avec la baguette de chargement et pouvait tirer. Très vite, les Britanniques eurent des problèmes avec le pas très serrĂ© du projectile en .690 MiniĂ© ce qui, couplĂ© aux rĂ©sultats des essais en petits calibres faits dans d’autres pays, les poussa Ă  adopter le calibre de .577 et le cĂ©lèbre fusil Pattern 1853. Les difficultĂ©s rencontrĂ©es avec le petit bouchon de fer amenèrent bientĂ´t Ă  le remplacer par du bois eux aussi. Avec cette munition, aidĂ©e d’un nouveau modèle de hausse pour le tir Ă  longue distance, graduĂ©e jusqu’à 900 yards, la prĂ©cision fut phĂ©nomĂ©nale pour l’époque. Le Pattern 1853 fut produit en quantitĂ©s suffisantes pour voir du service en CrimĂ©e, oĂą il devint vite l’arme favorite des soldats Britanniques.

Les AmĂ©ricains ne furent pas longs Ă  tirer des leçons des EuropĂ©ens et, dès 1855, homologuèrent leurs propres fusils MiniĂ©. Le fusil U.S. modèle 1855 Ă©tait une jolie arme, bien faite, en calibre .58. La balle de 500 Grains, conçue par le colonel BURTON de l’U.S. Army, Ă©tait du type adoptĂ© par les Français, avec des gorges de graissage et sans le bouchon expansif. Toutes les armes des sĂ©ries 1855 utilisaient le système d’amorçage Ă  bande Maynard. Les AmĂ©ricains abandonnèrent bientĂ´t le système d’amorçage Maynard pour la grande capsule Ă  percussion « chapeau haut-de-forme Â», et en 1861 sortit un nouveau fusil Springfield. L’arme prĂ©sentait le mĂŞme chien bizarrement incurvĂ© que son prĂ©dĂ©cesseur, et reprenait les mĂŞmes lignes gĂ©nĂ©rales. Alors que les premiers 1855 possĂ©daient une hausse sophistiquĂ©e en forme d’échelle graduĂ©e jusqu’à 900 yards, du mĂŞme style que l’Enfield, on simplifia cet accessoire en 1858 par une version spartiate Ă  deux feuillets, permettant une visĂ©e jusqu’à 500 yards au maximum. Le modèle 1861, probablement le fusil Yankee le plus utilisĂ© pendant la Guerre, fut de nouveau transformĂ© en 1863, encore que les transformations n’affectaient principalement que le chien en lui donnant sa forme familière en « S Â», et la suppression de la vis permettant le nettoyage Ă  la base de la cheminĂ©e. Des milliers de « 61 Â» et de « 63 Â» furent fabriquĂ©s Ă  l’Arsenal National, et plusieurs milliers d’autres par des sous-traitants civils comme Colt, Remington, S. Norris et W.T. Clemens, Whitney, etc.

Les fusils Enfield, eux aussi, firent l’objet de quelques petites transformations depuis leur mise en service en 1853. La plus importante fut en 1858 quand on Ă©limina les ressorts retenant le canon, et qu’on adopta les grenadières serrĂ©es par vis, de type « Baddeley Â» et dites « bandes Â». Egalement, la baguette de chargement, qui Ă©tait retenue Ă  l’origine dans le fĂ»t par un renflement venant s’ajuster dans une rainure prĂ©vue Ă  cet effet, fut remplacĂ©e par une baguette droite maintenue fermement dans le fĂ»t par un ressort en forme de cuiller. Les Britanniques dĂ©cidèrent que leur arme porterait trois rayures, au pas de 6 ½ pieds pour un tour. Les AmĂ©ricains furent d’accord, mais changèrent le pas Ă  6 pieds pour un tour. Alors que le calibre choisi par les Britanniques Ă©tait de .577 et celui des AmĂ©ricains de .58, on se rendit compte bien vite que les Enfield pouvaient aussi tirer les munitions amĂ©ricaines. En raison de sa dĂ©pendance des armes d’importation, la ConfĂ©dĂ©ration fit cependant du .577 son calibre officiel. Les fusil Enfield qui ont Ă©tĂ© utilisĂ©s pendant la Guerre Civile AmĂ©ricaine furent produits Ă  plusieurs endroits. Il y eut mĂŞme des copies Rebelles et Yankee. Les ateliers qui produisirent probablement la majoritĂ© des armes importĂ©es durant la rĂ©bellion se trouvaient aux alentours de la ville armurière de Birmingham. La pĂ©riode des premières annĂ©es 1860 fut particulièrement prospère pour les armuriers britanniques, puisque de grandes quantitĂ©s de leurs produits ne furent pas seulement livrĂ©es Ă  leur propre armĂ©e ou unitĂ©s de milice et aux amĂ©ricains, mais aussi Ă  des factions guerrières en Chine, oĂą la rĂ©bellion cataclysmique de TaĂŻping battait son plein.

Les Springfield, pour cet article nous utiliserons ce terme pour les « 61 Â» et les « 63 Â» Ă©galement produits par les sous-traitants, Ă©taient pour la plupart finis polis avec les garnitures en fer, bien que les platines sur les « 63 Â» fussent jaspĂ©es. Les fĂ»ts Ă©taient en noyer huilĂ©. Les Enfield avaient gĂ©nĂ©ralement des garnitures en laiton, mais le fer n’était pas rare, les canons Ă©taient bronzĂ©s bleu foncĂ©, et les platines jaspĂ©es. Les fĂ»ts Ă©taient Ă©galement en noyer huilĂ©. Les deux armes Ă©taient Ă©quipĂ©es de baĂŻonnettes triangulaires qui se fixaient au canon par une virole tournant autour du guidon. La lame britannique mesurait 17 pouces et elle Ă©tait un peu plus forte Ă  la base oĂą elle rejoignait le quillon. La baĂŻonnette du Springfield Ă©tait longue de 18 pouces et sa forme ressemblait plus Ă  celle du modèle français. Les fourreaux diffĂ©raient considĂ©rablement, la version britannique Ă©tait faite en cuir noir avec une calotte et un collet en laiton, et un raidisseur intĂ©gral qui s’ajustait dans un porte-baĂŻonnette ou un brandebourg sĂ©parĂ©s. Le fourreau Yankee Ă©tait Ă©galement en cuir noir avec une calotte en laiton, mais le porte-baĂŻonnette Ă©tait attachĂ© en permanence en haut. Le fourreau britannique se portait au droit de la ceinture, alors que l’angle formĂ© par le modèle amĂ©ricain le faisait pencher en avant, le rendant plus facile Ă  saisir.

Comme prĂ©cisĂ© au dĂ©but de cet article, les armes qui ont Ă©tĂ© choisies pour notre test sont les types standard du genre, mais une description un peu dĂ©taillĂ©e de chacune ne serait pas hors de propos. L’Enfield Ă©tait une variĂ©tĂ© standard du Pattern 53. Le canon Ă©tait marquĂ© des poinçons de Birmingham, mais la platine, bien qu’entourĂ©e d’une ligne, ne portait aucun marquage, ce qui signifie que l’arme a plus que probablement Ă©tĂ© destinĂ©e Ă  un usage par la milice. Sur les armes fournies aux troupes rĂ©gulières britanniques, les platines Ă©taient marquĂ©es de la Couronne de la Reine surmontant les lettres VR, pour « Victoria Regina Â». La date et le fabricant, comme Enfield, Potts & Hunt, etc., Ă©taient gravĂ©s devant le chien. Le canon de 39 pouces gardait encore des traces du bronzage d’origine, et l’intĂ©rieur du canon Ă©tait pratiquement parfait, les trois rayures Ă©tant bien visibles depuis la bouche. Les baguettes d’Enfield firent l’objet d’une quantitĂ© de tests considĂ©rable avant que le modèle fĂ»t dĂ©posĂ©. Sur l’arme de nos essais, la tĂŞte Ă©tait fraisĂ©e et dĂ©coupĂ©e. L’entaille pouvait ĂŞtre utilisĂ©e pour y fixer le chiffon de nettoyage, ou un tournevis pouvait y ĂŞtre insĂ©rĂ© pour crĂ©er un bras de levier plus grand lorsqu’on essayait de sortir une balle avec le tire-balle qui se vissait Ă  l’autre extrĂ©mitĂ© de la baguette. Dans l’ensemble, le travail de finition sur l’arme d’essais Ă©tait excellent. L’ajustage du mĂ©tal au bois Ă©tait bon, et les dĂ©corations Ă©taient gravĂ©es, pas poinçonnĂ©es. Comme accessoires, les Enfield avaient un petit outil combinĂ© très pratique, d’abord remis aux sergents et aux caporaux, comprenant une clĂ© de ressort, un tournevis, un dĂ©bouche-cheminĂ©e, un tire-balle, une clĂ© de cheminĂ©e et un huilier, plus un bouchon de canon en liège garni de fer ou de laiton, et un couvre-cheminĂ©e en cuir qui Ă©tait attachait au fusil par une chaĂ®ne en laiton et qui permettait au soldat de tirer Ă  sec avec son arme. Une cartouche originale d’Enfield a pu ĂŞtre examinĂ©e. Il s’agissait d’un objet complexe, fait de plusieurs bandes intĂ©rieures et extĂ©rieures, gommĂ©es. L’objet Ă©tait robuste, et les soldats le trouvèrent facile Ă  utiliser pour le rechargement au combat.

Notre arme de Yankee Ă©tait un modèle « 63 Â» fabriquĂ© par la Trenton Locomotive & Machine Works Ă  Trenton, Ă©tat du New Jersey. Sur la platine, il restait des traces de jaspage, bien que le reste de l’objet, y compris le canon de 40 pouces, Ă©tait poli blanc. Le fĂ»t Ă©tait en bon noyer, marquĂ© comme il le fallait avec les tampons des inspecteurs. La baguette prĂ©sentait la tĂŞte de tulipe classique avec son renflement, et son extrĂ©mitĂ© Ă©tait filetĂ©e pour recevoir les accessoires standard. Les marquages de la platine indiquaient « U.S. / Trenton Â» et l’aigle amĂ©ricain Ă©tait gravĂ© sur le support de cheminĂ©e. Dans l’ensemble, la finition Ă©tait au moins aussi bonne, sinon meilleure, que celle de l’Enfield. Les accessoires de ces armes, Ă  l’exception d’un outil composite multiple assez rare, Ă©taient gĂ©nĂ©ralement portĂ©s sĂ©parĂ©ment. Ils incluaient un tournevis dĂ©monte-cheminĂ©e Ă  trois tĂŞtes, une clĂ© de ressort, un chasse goupilles, un tire-balles, un lavoir et un bouchon de canon en bois tournĂ©. La cartouche du Springfield Ă©tait plus simple que celle de l’Enfield, et n’était rien d’autre qu’une enveloppe enroulĂ©e, attachĂ©e Ă  l’avant et contenant une balle, tĂŞte la première, et la poudre. Tout comme la munition britannique, elle avait une queue longue et plate que le soldat pouvait dĂ©chirer avec ses dents pour mettre la poudre Ă  nu. Le soldat amĂ©ricain recevait ses capsules d’amorçage dans une feuille de papier enroulĂ©e et attachĂ©e sur l’un des cĂ´tĂ©s. Les capsules Crown Ă©taient distribuĂ©es dans des boĂ®tes en Ă©tain, d’abord portĂ©es dans la giberne, puis contenues plus tard dans la petite sacoche Ă  amorces Ă  la manière amĂ©ricaine.

Les projectiles et les charges qui ont Ă©tĂ© choisis pour les essais Ă©taient, pour les spĂ©cifications des annĂ©es 1860, une balle Pritchett de 530 Grains et de calibre .568 avec 2 Drams et demi, soit 68 Grains, de poudre noire FFg pour l’Enfield. Pour le Springfield, nous avons pris une balle MiniĂ© Lyman # 575213 « original-style Â», assise sur 60 Grains de FFg. Les projectiles Ă©taient graissĂ©s avec un mĂ©lange de cire d’abeille et de suif, et les tirs se sont effectuĂ©s par sĂ©ries de cinq coups, en nettoyant entre les coups. Ceci reproduit en quelque sorte les conditions dans lesquelles les armes auraient servi au combat. Sauf que je ne suis pas sĂ»r que le soldat avait le temps de passer un coup de chiffon entre les coups sur un champ de bataille, spĂ©cialement pas avec un officier dans le dos qui le poussait Ă  foncer en avant avec son sabre.

Sans entrer dans une description fastidieuse de chaque sĂ©rie coup par coup, il est peut ĂŞtre intĂ©ressant de noter les impressions gĂ©nĂ©rales que nous avons eues au cours d’un après-midi de tir. D’abord, en dĂ©pit d’une balle plus lourde et d’une charge plus importante, nous avons trouvĂ© que l’Enfield Ă©tait beaucoup plus doux Ă  tirer que le Springfield. On peut probablement attribuer ce fait Ă  la crosse de l’arme britannique, plus droite, et Ă  la plaque de couche plus incurvĂ©e, comme sur un fusil de chasse. La plaque de couche plate du Springfield punissait après quelques coups rĂ©pĂ©tĂ©s. Sur notre Enfield, la dĂ©tente Ă©tait infiniment meilleure que celle du Springfield, bien que l’expĂ©rience ait prouvĂ© que les poids de dĂ©tente peuvent varier considĂ©rablement d’une arme Ă  l’autre dans le mĂŞme type, et nous ne condamnerons pas le Springfield pour cela. En fait, les mĂ©canismes des deux armes sont pratiquement identiques. La baguette de chargement de l’Enfield Ă©tait plus forte que celle du Springfield, mais ce dernier se chargeait tout aussi facilement que l’autre. Au nettoyage, en particulier avec les lavoirs en forme de tire-bouchon, nous avons trouvĂ© que le fait que la baguette de l’Enfield avait plus de viande Ă©tait un plus. Du mĂŞme coup, une tige passĂ©e Ă  travers l’échancrure de la tĂŞte nous a permis de sortir facilement un morceau de chiffon qui Ă©tait restĂ© dans le canon. Quand la fumĂ©e se dissipa, le groupement de l’Enfield, Ă  100 yards et sur appui, mesurait 4 pouces, et celui du Springfield mesurait 7 ½ pouces. Aucune difficultĂ© ne fut rencontrĂ©e sur l’une ou l’autre des deux armes pour le rechargement, mĂŞme après le tir de quelques sĂ©ries jusqu’à dix coups. On dirait que ces cons-lĂ  n’ont tirĂ© que dix coups Ă  peine avec chaque arme ; c’est donc normal que leurs essais n’ont durĂ© qu’un après-midi. L’allumage sur les deux armes Ă©tait sĂ»r et constant, et nous n’avons pas eu de ratĂ©s Ă  attribuer Ă  une mauvaise conception. Le mec ne dit pas s’il a eu des ratĂ©s ou s’il n’en a pas eu, il dit simplement cela pour remplir des lignes.

Le but de ces essais Ă©tait de voir lequel, de l’Enfield ou du Springfield, Ă©tait supĂ©rieur Ă  l’autre, et je ne peux pas vraiment me prononcer. Alors que les deux armes se sont très bien comportĂ©es dans le rĂ´le pour lequel elles avaient Ă©tĂ© conçues, je donnerai toutefois la prĂ©fĂ©rence Ă  l’Enfield. Ce choix n’est pas seulement liĂ© aux performances, mais Ă  des facteurs de conception, comme la baguette de chargement de l’arme anglaise qui Ă©tait bien supĂ©rieure Ă  celle de son concurrent, et d’autres plus intangibles, comme l’esthĂ©tique et l’attention gĂ©nĂ©rale donnĂ©e aux dĂ©tails dans la fabrication. L’outil combinĂ© de l’Enfield Ă©tait une amĂ©lioration notoire par rapport aux outils sĂ©parĂ©s du Springfield, mais il faut se rappeler que le soldat amĂ©ricain Ă©tait dotĂ© de pratiquement tous les accessoires, Ă§Ă  je n’en suis pas si sĂ»r, quand le soldat britannique dĂ©pendait largement de l’outil portĂ© par son sergent. LĂ , nous avons un petit coup de pouce. Les baĂŻonnettes Ă©taient au moins aussi efficaces l’une que l’autre, je parie que le mec ne les a mĂŞme pas essayĂ©es sur ses petits copains, et les fourreaux tout aussi pratiques. Alors que les organes de visĂ©e de l’Enfield sont plus complexes et de meilleure qualitĂ© que ceux du Springfield, mĂŞme les experts des annĂ©es 1860 admettaient qu’une distance de 900 yards Ă©tait très optimiste pour un fusil tirant la balle MiniĂ©. La hausse Ă  deux feuillets du « 63 Â» est certainement plus adĂ©quate et, d’un point de vue de durabilitĂ© et de coĂ»t de fabrication, c’est assurĂ©ment un plus. Inutile de le dire, un après-midi de tir pour les deux fusils sĂ©lectionnĂ©s n’est en aucun cas un test qui pourrait faire autoritĂ©. Plusieurs personnes ont tirĂ© avec les armes, cependant, et l’avis gĂ©nĂ©ral rejoint ce qui est Ă©crit ci-dessus. J’ai tirĂ© depuis des annĂ©es avec plusieurs Springfield et Enfield mais, prises Ă  part, il n’y a pas de diffĂ©rence particulièrement notoire entre l’une ou l’autre de ces armes. Je suis sĂ»r que c’était aussi le cas pendant la Guerre Civile. Les hommes se rendaient compte qu’elles reprĂ©sentaient ce que leur gouvernement avait de mieux Ă  leur fournir ou procurer, et ils Ă©taient satisfaits de cette idĂ©e. Les pertes Ă©normes dans les deux camps sont une autre preuve de l’efficacitĂ© mortelle de ces deux fusils.

ILLUSTRATIONS

springfield contre enfield 1

A gauche, deux balles d’origine retrouvĂ©es sur un ancien champ de bataille de la guerre de SĂ©cession, soit la balle Pritchett et la balle MiniĂ©. On remarque la forme pointue de la balle MiniĂ©. Rien Ă  voir avec ce qui sort des moules disponibles couramment dans le commerce aujourd’hui. A droite, les balles coulĂ©es par l’auteur.

springfield contre enfield 2

Plan de la balle d’origine. Je retiens : calibre de .5775, poids 500 Grains pour 60 Grains de poudre Ă  gauche, destinĂ©e au fusil, et 450 Grains pour 40 Grains de poudre Ă  droite, destinĂ©e Ă  la carabine.